Ces dernières années, l’Union européenne s’est lancée dans un ambitieux projet visant à améliorer la durabilité des entreprises grâce à des directives telles que la Directive sur la publication d’informations en matière de durabilité des entreprises (CSRD) et la Directive sur la diligence raisonnable en matière de durabilité des entreprises (CSDDD). Bien que ces initiatives soulignent l’engagement de l’UE en matière de principes environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG), elles ont également introduit des complexités qui mettent les entreprises à l’épreuve, en particulier dans des économies plus petites comme le Luxembourg.

Des ambitions réglementaires en quête de réalisme

La CSRD, entrée en vigueur en janvier 2023, a élargi la portée des rapports sur la durabilité, obligeant un éventail plus large d’entreprises à divulguer des informations liées aux critères ESG. Parallèlement, la CSDDD vise à garantir que les entreprises anticipent et réduisent leurs impacts négatifs sur les droits de l’homme et l’environnement dans leurs opérations et leurs chaînes d’approvisionnement.

Cependant, la mise en œuvre rapide de ces directives a soulevé des inquiétudes concernant les charges administratives et la faisabilité pour les entreprises de se conformer efficacement. Reconnaissant ces défis, la Commission européenne a introduit le paquet de simplification « Omnibus » en février 2025, proposant des ajustements pour rationaliser les exigences de reporting et fournir des directives plus claires.

Favoriser le changement sans compromettre la compétitivité

Les ajustements proposés dans le paquet Omnibus vont dans la bonne direction. Cependant, pour que le cadre de durabilité de l’UE fonctionne dans la pratique – une ambition soutenue par la FEDIL – certaines conditions essentielles doivent être réunies.

Tout d’abord, les allègements transitoires doivent être prolongés et les effets rétroactifs évités. Dans un contexte encore incertain, où plusieurs ajustements réglementaires sont attendus, imposer de nouvelles règles de manière rétroactive risquerait de créer des doublons, d’alourdir la charge des entreprises et de fragiliser la sécurité juridique. À l’inverse, si certaines règles à venir sont moins contraignantes, il devrait être possible pour les entreprises de les appliquer de manière volontaire, sans pénaliser les efforts déjà engagés.

Par ailleurs, l’UE doit fournir des orientations harmonisées et claires, en particulier en ce qui concerne le reporting volontaire et les obligations liées à la chaîne de valeur. Sans directives cohérentes – alors même que la CSRD vise justement à créer un socle normatif commun à l’échelle européenne – les exigences de reporting pourraient devenir fragmentées et prêter à des interprétations divergentes selon les États membres. Il est également essentiel de rapprocher autant que possible les exigences européennes des standards internationaux, tels que ceux de l’International Sustainability Standards Board (ISSB).

Parallèlement, il est tout aussi important que le principe de proportionnalité soit préservé afin de garantir que les obligations restent gérables, notamment pour les PME. Ces entreprises, bien que touchées indirectement par les chaînes d’approvisionnement, manquent souvent des ressources des grandes multinationales pour répondre aux demandes successives de conformité en matière de législation, de réglementation et de certification. Ainsi, une PME luxembourgeoise fabriquant des composants pour de grands groupes européens n’est pas directement soumise à la CSRD, mais elle doit répondre aux demandes croissantes de ses clients en matière de données ESG. Ces demandes s’inscrivent souvent dans des formats complexes, impliquant l’achat de logiciels spécialisés et le recours à des consultants externes.

Enfin, l’alignement entre la CSRD et la CSDDD est essentiel. Les délais, les exigences de données et les critères d’étendue doivent être coordonnés pour éviter les doublons. Par exemple, les entreprises ne doivent pas être contraintes de créer des systèmes distincts pour rapporter des informations similaires dans le cadre de ces deux directives.

Harmonisation : Clé d’une mise en œuvre équitable

Un marché unique fonctionnel dépend d’un haut degré de cohérence juridique. Pourtant, la formulation actuelle de la CSDDD risque d’ouvrir la porte à une fragmentation réglementaire. Bien que l’harmonisation complète soit politiquement hors de portée pour le moment, l’UE doit renforcer ses efforts pour empêcher les États membres de superposer des obligations supplémentaires qui sapent la certitude juridique et la compétitivité.

Prenons le cas d’un fournisseur industriel basé au Luxembourg, opérant avec des clients en Allemagne et en France. Ce fournisseur se retrouve confronté à deux cadres juridiques distincts : la loi allemande sur les chaînes d’approvisionnement (LkSG), très détaillée et assortie de mécanismes de contrôle stricts, et la loi française sur le devoir de vigilance, plus limitée et moins prescriptive. Pour satisfaire son client allemand, l’entreprise luxembourgeoise est contrainte de se conformer au régime le plus exigeant – avec un impact direct sur ses coûts et sa compétitivité dans un marché qui devrait pourtant garantir l’égalité de traitement.

La diligence raisonnable face à des chaînes d’approvisionnement mondialisées

Au-delà des frontières européennes, une question clé reste souvent sous-estimée : que faire lorsque les obligations de diligence raisonnable deviennent difficilement applicables à des chaînes d’approvisionnement complexes situées dans des pays tiers ? Les évaluations d’impact à ce jour abordent peu cette problématique. Dans de nombreux cas, l’accès limité à l’information, l’absence de moyens contractuels ou de relais locaux freinent une mise en œuvre effective. Ces limites pratiques doivent être davantage prises en compte si l’on veut que la CSDDD repose sur des obligations réalistes, applicables et compatibles avec la réalité du commerce international.

L’innovation est le véritable atout concurrentiel de l’Europe

En somme, pour garantir que les règles de durabilité soutiennent, plutôt que freinent, l’innovation industrielle, l’UE doit concevoir son cadre avec flexibilité. Les entreprises ont besoin de la possibilité d’expérimenter, de s’adapter et de déployer de nouvelles solutions sans être confinées par des exigences rigides et redondantes. Un cadre qui valorise les démarches proactives sera essentiel pour que les entreprises investissent dans des solutions durables sans craindre l’obsolescence réglementaire ou les doubles contraintes. Si nous voulons une transition verte faite en Europe, nous devons également nous assurer qu’elle puisse être construite en Europe.

Yves Germeaux
Responsable du commerce et des relations internationales